dimanche, 11 décembre 2016
Des sentinelles pour prévenir les suicides sur les fermes du Québec
Par Ricardo Codina
L’agriculture n’est pas un métier de tout repos. La moitié des agriculteurs québécois souffrent d’un niveau élevé de détresse psychologique d’après une étude signée Ginette Lafleur. Un facteur de risque important menant potentiellement vers la dépression voire le suicide, pouvait-on lire dans La Presse du 5 décembre dernier.

Pas évident toutefois de déceler la détresse psychologique chez celui ou celle qui en souffre. C’est particulièrement vrai chez les agriculteurs dont plusieurs vivent isolés sans réseau social développé. Leurs seuls contacts avec le monde extérieur étant, parfois, des professionnels avec qui ils ont à faire des affaires soit les vétérinaires et les agronomes.
L’Union des producteurs agricoles (UPA) se tourne vers ces professionnels, qui ont un contact privilégié avec leurs membres, pour créer un nouvel outil de prévention du suicide sur les fermes du Québec : un réseau de sentinelles. Une sentinelle n’est pas un travailleur social ou un psychologue mais un relais. C’est ce qu’a expliqué à La Presse, Mme Lucie Pelchat, conseillère à l’Association québécoise de prévention du suicide : «On sait qu'il ne faut pas attendre que la personne en détresse demande de l'aide. Ce qui fonctionne, c'est de l'accompagner vers des ressources d'aide. C'est ce à quoi servent les "sentinelles". On va former les professionnels qui sont autour du producteur, comme les vétérinaires ou les comptables agricoles. Tout professionnel qui œuvre auprès du producteur peut être formé pour repérer les signes de détresse, savoir quoi dire et comment aborder la question du suicide. La sentinelle est toujours en contact avec un intervenant qui lui a été désigné.»
Un réseau de sentinelles dans un milieu professionnel et/ou de vie n’est pas un concept nouveau. On en retrouve plusieurs au Québec. Ce sont les centres de prévention du suicide du Québec qui donnent des formations pour ces sentinelles bénévoles dans le but que ces dernières puissent reconnaître les signes de détresse pouvant mener au suicide. Au niveau de l’UPA, le programme a été officiellement lancé en août dernier avec pour objectif de former aux alentours de 600 sentinelles dans les deux prochaines années pour le milieu agricole québécois. Pierre-Nicolas Girard, retraité de l’UPA et consultant dans le dossier de la santé psychologique des agriculteurs a déclaré à La Presse : «En faisant cela, on se donne un moyen de pouvoir identifier les cas. Pour plusieurs raisons, c'est très difficile de rejoindre les agriculteurs. Et ceux qui sont en détresse ou très malades ne se présentent jamais dans les réunions.» Dépression, stress, suicide sont des sujets qui furent longtemps tabous dans le milieu agricole, mais cela commence à changer. D’ailleurs, cette année, l’UPA, dans le cadre de son congrès annuel au début du mois, a fait une place aux psychologues.
Pierre-Nicholas Girard explique à La Presse qu’en 43 ans de carrière à l’UPA, il n’a jamais parlé de ces sujets alors qu’il y avait pourtant un problème. Les raisons de ce drame latent : déni et isolement. L’UPA prend donc les devants avec le kiosque en santé psychologique au congrès annuel et avec des responsables de ce dossier dans les fédérations régionales et les syndicats locaux. Outre les 600 sentinelles à former, les agriculteurs peuvent aussi compter sur les travailleurs de rang qui sont des intervenants sociaux au même titre que les travailleurs de rues en ville. Les travailleurs de rang vont voir tous les agriculteurs qu’ils aient des problèmes ou pas. Le but est d’abord de se faire connaître et établir des relations de confiance. Si le travailleurs de rang est chez le voisin ce n’est pas que ce dernier a un problème, règle générale c’est la visite de courtoisie. Cela évite toute stigmatisation. Et si l’agriculteur vit une mauvaise passe, il peut en discuter avec le travailleur de rang sans que tout le voisinage risque d’être au courant de ses difficultés. Ginette Lafleur, auteure de l’étude citée plus haut, explique à La Presse : «S'ils ne viennent pas vers nous, on doit aller vers eux. Les travailleurs se promènent dans les rangs. Ça développe des liens de confiance. Ils vont dans des événements qui sont plus propices à créer des situations de détresse, comme les encans.»
Il est important de noter également que, depuis 2003, existe l’organisme Au cœur des familles agricoles qui vient en aide aux agriculteurs en difficulté. Cet organisme a mis en place une maison de répit permettant aux agriculteurs en détresse de se refaire des forces en laissant la ferme durant quelques jours. Encore faut-il pouvoir trouver quelqu’un qui s’occupe de ladite ferme durant quelques jours. C’est la plus grande difficulté d’où le projet de mise en place d’une banque de travailleurs agricoles ayant des compétences en production laitière, par exemple, pouvant prendre la relève quelques temps dans les situations urgentes.
Avis donc aux vétérinaires, agronomes, comptables et conseillers, devenez les sentinelles de votre milieu professionnel.