mardi, 16 octobre 2018

Crise commerciale dans le lait de chèvre au Québec

Par Ricardo Codina

Radio-Canada rapporte aujourd'hui le message de désespoir de deux productrices de lait de chèvre du Québec sur les réseaux sociaux. Ce message suscite beaucoup d'inquiétude chez les 60 producteurs de lait de chèvre du Québec qui ont désormais peur de devoir cesser leur production. C'est que les transformateurs québécois ne veulent désormais plus acheter de lait de chèvre québécois.
Stéphanie Béliveau, productrice de lait de chèvre à Warwick dans le Centre-du-Québec déclare dans une publication Facebook partagé plus de 20 000 fois jusqu'à présent  : «Svp, partager. Ce soir j’ai le cœur gros. Dans moins de 80 jours, des dizaines de familles québécoises vont perdre leur troupeau de chèvres car les transformateurs ne veulent plus acheter de lait de chèvre ici. Ils préfèrent vendre des fromages importés européens ou acheter des surplus de lait en Ontario à prix ridiculement bas. Agropur une coopérative d’ici ne renouvellera aucun contrat après le 30 avril 2019. C’est honteux! Liberté coupe tous les contrats au 31 décembre 2018. Merci de nous aviser seulement 80 jours d’avance! Des milliers de chèvres à l’encan d’ici quelques semaines. Dans les médias, on ne parle pas de nous, car on n’est moins nombreux que dans d’autres productions. Aucune alternative, pas de compensation, pas de programme d’aide. Svp, partager notre histoire qui est trop triste. Prier pour nous. Peut-être que quelqu’un nous entendra avant qu’il soit trop tard... »
Radio-Canada rapporte également le cas d'une productrice de lait de chèvre de la Montérégie, Mme Amélie Lapierre, qui a elle aussi écrit un message sur les réseaux sociaux lundi soir et qui a été partagé 4000 fois depuis. Dans ce message, elle s'adresse à ses chèvres : « C'est sûrement votre dernière lactation. Les fromageries ne veulent plus acheter de lait québécois. Je serai avec vous jusqu'à la fin. » Mme Lapierre a expliqué à Radio-Canada qu'elle vend le quart du lait de son troupeau à Laliberté et les trois autres quarts à Agropur. Coup sur coup, en deux jours, les deux transformateurs lui ont annoncé qu'ils ne s'approvisionneront plus en lait de chèvre au Québec. Elle se retrouve à deux mois et demi d'avis sans débouché pour sa production de lait.

Le Syndicat des producteurs de lait de chèvre du Québec a déclaré à Radio-Canada que la baisse des ventes va faire baisser la production de lait de 10 millions de litres à 6 millions de litres à partir du 1er janvier 2019. Avec un effondrement annoncé de 40% (minimum) certains producteurs s'apprêtent tout simplement à fermer ou faire faillite. D'ailleurs un nombre records de chèvres part à l'encan présentement et elles partent à très bas prix compte tenu du contexte.

Radio-Canada rapporte le contenu d'un courriel du directeur de l'usine Laliberté, Monsieur André St-Amour, à l'intention des producteurs de lait de chèvre du Québec (PLCQ) daté du 9 octobre 2018 et qui dit « Nous avons pris la décision finale de ne pas participer au processus d’achat de lait de chèvre auprès du PLCQ pour l’année 2019. » Laliberté se tournerait pour s'approvisionner désormais en Ontario où, les prix seraient 10% moins élevé qu'ici à cause de surplus de production. Laliberté ne confirme pas cette information toutefois. La porte-parole de l'entreprise, Jenny Chiasson, s'est contenté de dire à Radio-Canada : « On analyse les options pour répondre à la demande croissante de nos produits à base de lait de chèvre ». Demande croissante mais on ne s'approvisonne plus au Québec. Que comprendre?

Quant à Agropur, la coopérative annonçait dernièrement la fermeture de son usine de Saint-Damase en Montérégie qui était la seule à produire du fromage de chèvre. L'usine en question va graduellement cesser toute activité d'ici le 30 avril 2019.

Christian Dubé, président du Syndicat des producteurs de lait de chèvre du Québec déclare à Radio-Canda  à propos d'Agropur : « Ils ont déjà commencé à délister [sic] des fromages au niveau des grandes chaînes et ils ont arrêté de produire certains types de fromages de chèvre depuis le mois de juin ».Selon certains producteurs interrogés par la société d'état, Agropur va importer des fromages de chèvre d'Europe à bas prix grâce à l'accord de libre-échange.

Agropur a envoyé aussi une porte-parole, Véronique Boileau, pour expliquer la situation. Cette dernière déclare que tout est en évaluation mais que la coopérative ne peut pas produire de fromage de chèvre ailleurs qu'à Saint-Damase qui va fermer. Les producteurs de lait de chèvre du Québec seront informés d'ici le 1er novembre 2018, date limite pour prendre les commandes de 2019, de la suite des choses. Cette suite s'annonce morose à moins d'un revirement spectaculaire.

Les producteurs largués seraient en négociation avec Saputo qui a le gros bout du bâton pour négocier dans ce contexte. S'il devait y avoir une entente à venir ce serait  un lait acheté moins cher et un cahier de charge plus exigeant, donc une importante baisse de revenu pour les producteurs restants. Christian Dubé déplore que les membres de son syndicat soient ainsi à la merci des multinationales.

Si le consommateur avait à payer le coût environnemental et social de cette situation, le prix du fromage de chèvre serait pas mal plus élevé l'an prochain. Dans un contexte où on se préoccupe du développement durable et de la survie de notre planète, fermer nos productions locales de lait de chèvre pour s'approvisionner en Ontario et en Europe est un non sens absolu. Les grandes ententes de libre-échanges devraient désormais en tenir compte.